Le 31 Mars dernier, l’amoureux du langage et de la culture anglo-saxonne qu’est Jean-François Ménard a été distingué du titre de Docteur Honoris Causa par l’Université de Mons (en Belgique) pour sa contribution à la traduction.

Surtout connu comme étant le traducteur officiel de la version française du Monde des Sorciers de J.K. Rowling (de l’entièreté de la saga Harry Potter et affiliés aux indications scéniques et de la chanson du Blind Pig dans Les Animaux Fantastiques : Le Texte du Film, sortie récemment) ; Mr Ménard a également réalisé les traductions du Bon Gros Géant de Roald Dahl, de la série Artemis Fowl de Eoin Colfer et du roman de Louis Sachar, Le Passage. Côté écriture, il a signé les affres gourmands de la sorcière Ittitôl dans La Sorcière Mangetout en 1998 ou encore du récit à la Roméo et Juliette au pays des mangeurs de viande crue dans Panique chez les Bouledogre publié en 2009 !

De plus, si il est de coutumes que Mr Ménard soit assez avare en ce qui concerne les interviews, il a cependant accordé un entretien à L‘Avenir.net à l’occasion de la remise du titre :

Jean-François Ménard, on vous connaît surtout pour être le traducteur français de la saga Harry Potter. Un travail qui a nécessité de sortir du dictionnaire et de faire appel à l’imagination. Comment traduire en français des mots anglais inventés, sans trahir leur esprit ?
C’est ce que j’aime le plus précisément : sortir du dictionnaire. Dans ce cas-là, c’était une aubaine pour un traducteur de recréer un langage inventé par J.K. Rowling et de faire en sorte que les mots inventés en français soient fidèles à l’esprit de l’original, qu’ils deviennent très vite familiers pour le public francophone. C’était un vrai défi à relever et qui m’a énormément plu dans ce livre entre autres choses. J’aime beaucoup les inventions de langage, sortir du sens des mots pour découvrir quelque chose au-delà, dans le domaine de l’imaginaire.

Vous êtes décoré des insignes Honoris Causa de l’UMons. Il s’agit de la plus haute distinction donnée par l’université. Êtes-vous un académique ou votre formation s’est faite hors des bancs de l’école ?
Elle s’est faite hors des bancs de l’école. J’ai commencé à écrire moi-même des livres et les circonstances m’ont ensuite amené à en traduire, à la demande du département jeunesse de Gallimard, mon éditeur. Je me suis passionné pour la traduction et j’ai suivi un chemin très personnel qui n’a pas grand chose à voir avec les voies habituelles de l’académie. Je suis un solitaire et j’ai mené mon travail en dehors des sentiers battus.

Vous avez commencé la traduction au début des années 80. Le monde de la traduction a-t-il évolué depuis ?
Très certainement. Je pense que la traduction a fait d’immenses progrès de manière générale: on peut désormais l’étudier à l’université. Aujourd’hui, la traduction se fait avec beaucoup plus de sérieux et les jeunes traducteurs apportent leur bagage personnel, leur culture, et arrivent à entrer dans un monde différent avec une plus grande souplesse du fait que l’on peut voyager beaucoup plus facilement aujourd’hui.

Mais la traduction a aussi progressé grâce à internet qui permet d’avoir accès à des connaissances qui demandaient auparavant des recherches plus complexes. Avant l’arrivée d’internet, je me rendais dans des bibliothèques, je demandais à des Anglais ou des Américains s’ils connaissaient tel ou tel détail très précis, il fallait faire des recherches poussées… Maintenant internet vous fait gagner un temps fou. En plus vous trouvez toutes sortes d’explications étymologiques… C’est un instrument de connaissance formidable.

Pour vous, c’est quoi un bon traducteur ?
C’est quelqu’un qui vit le livre, qui l’assimile, qui l’incarne. De mon point de vue, pour bien traduire un livre, il faut le dévorer, le sentir couler dans ses veines et arriver à le transposer dans sa propre langue. Il y a quelque chose de charnel dans la traduction : ressentir à travers l’émotion. Évidemment il y a un processus intellectuel, mais il y a aussi un processus émotionnel. On traduit bien un livre parce qu’on l’a en soi et que l’on a retrouvé un peu de la démarche de l’auteur.

Du coup, peut-on traduire un livre si on ne l’aime pas ?
Oh oui, on peut…Mais alors c’est différent, c’est un défi que l’on se lance. Il faut le traduire comme si on l’aimait et faire en sorte que des lecteurs l’aiment. C’est différent, ça oblige à s’ouvrir l’esprit à quelque chose dont on ne se sent pas proche. Mais c’est un excellent exercice d’ouverture aux autres.

Pour Harry Potter, vous avez dû vous ouvrir aux autres, ou c’était en vous ?
C’était en moi. Dès que j’ai ouvert ce livre et que j’ai vu le travail extraordinaire qu’il y avait à faire sur la langue, j’étais enchanté. Je me suis dit que c’était formidable d’arriver à avoir un livre dans lequel on doit inventer un langage. C’est une merveille. Le contact s’est fait immédiatement.
Si J.K. Rowling remet le couvert à nouveau d’une manière ou d’une autre, vous reprendriez du service pour l’univers de Harry Potter ?

Si on me le demande, oui. Dernièrement j’ai traduit le script des Animaux Fantastiques qui vient juste de sortir. Il s’agit de la description plan par plan du film, que J.K. Rowling a intégralement écrit : le scénario, le découpage…C’était un travail très intéressant qui me change complètement de l’écriture romanesque et qui m’a ramené au cinéma. Je ne sais pas ce qui se passera au niveau littéraire avec Les Animaux Fantastiques, mais si on fait appel à moi, je serais disponible.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette expérience Harry Potter ?
Ce qui m’a surtout marqué, c’est de voir à quel point le public de Harry Potter pouvait être différent. Les fans de Harry Potter appartiennent à tous les milieux: ce sont des étudiants, des gens qui ont une grande culture littéraire, ou au contraire des gens qui ne lisaient presque jamais et qui ont tout à coup découvert le plaisir de la lecture dans Harry Potter.
J’ai eu beaucoup d’expérience de lecteurs qui n’avaient lu que ça et c’était merveilleux de voir comment ces livres les avaient profondément émus, voire bouleversés. C’est absolument extraordinaire d’avoir su s’adresser à autant de gens et d’avoir suscité une telle passion dans tous les milieux. C’est étonnant et admirable.

Vous aviez senti poindre le phénomène en traduisant ?
Non, personne ne pouvait prédire que ce serait un tel phénomène. Que ça marcherait, oui, on pouvait le sentir, mais de là à vendre 450 millions d’exemplaires dans le monde, personne ne pouvait le savoir, c’était impossible.

Si vous deviez retenir d’autres traductions qui vous ont marqué à côté de Harry Potter, quelles seraient-elles ?
Il y a un livre que j’aime énormément : Le Passage de Louis Sachar.

Continuez-vous à écrire des livres ?
Oui, mais maintenant que j’ai pris goût à une liberté pas toujours compatible avec les exigences de l’édition, j’écris des livres en petit comité, dans ma maison, pour ma femme et mes amis ! Ce que j’aime, c’est le travail en lui-même. L’édition devient un peu contraignante, il faut toujours aller parler de ses livres un peu partout. Or, je ne suis plus tout jeune et j’ai besoin de repos !

Qu’est-ce qui vous attire dans la littérature anglo-saxonne ?
La fantaisie, l’imagination…Le fait de casser les codes et aller au-delà du quotidien. Je m’y suis intéressé car l’âge de mes jeunes lecteurs est l’âge auquel on commence à prendre conscience de la réalité des choses, tout en restant dans un monde imaginaire. Cette frontière entre la réalité et l’imaginaire se vit particulièrement bien autour de 10-11 ans. Après, la plupart bascule dans le réel et oublie l’autre dimension.
Moi j’ai essayé d’être toujours à cette frontière, entre le réel et l’imaginaire. Et je pense que les Anglais sont particulièrement doués pour cela. J’ai toujours été attiré par les cultures britannique et américaine. Et l’humour anglais est quelque chose que j’apprécie tout particulièrement : il a un caractère propre qu’on ne peut quasiment pas retrouver dans d’autres langues et c’est ça qui est intéressant.

Votre travail de traduction vous a amené à travailler sur ce trait typiquement anglais ?
Oui, j’ai traduit des livres qui étaient axés sur l’humour, des jeux avec le langage, en y prenant beaucoup de plaisir. J’ai traduit Le Bon Gros Géant de Roald Dahl, qui était aussi un moment très agréable dans ma vie de traducteur parce qu’il fallait recréer en français ce langage déstructuré du personnage principal et j’ai pris un très grand plaisir à le faire. Spielberg l’a remis au goût du jour dans un film récemment (NDLR sorti en juillet 2016) et j’ai eu beaucoup de plaisir à me remémorer l’univers de Roald Dahl, que j’avais traduit il y a plus de 30 ans.

Merci L’Avenir.net !