C’est ce Jeudi 27 Octobre que Gallimard publie l’édition illustrée de Harry Potter et l’Ordre du Phénix.

Si Jim Kay avait jusqu’alors assuré seul l’illustration des tomes précédents, pour sa dernière édition illustrée de la saga, il a collaboré avec Neil Packer afin de terminer ce cinquième livre au volume conséquent.

Nous nous sommes entretenu avec ce dernier et discuté de son ressenti, de son processus de création, de ses sources d’inspiration et de bien plus encore pour ce livre.

Pouvez-vous expliquer comment vous en êtes venu à travailler sur ce tome ? Est-ce Bloomsbury ou Jim Kay qui vous en a fait la proposition ?

Jim est un de mes amis. On se connaît depuis un certain temps et nous étions tous deux fans du travail de l’autre bien avant de nous rencontrer. Il était probablement évident pour Jim et les éditeurs, dès le début, qu’il y avait une quantité folle de travail à réaliser pour ce livre en raison de son volume. Jim avait déjà placé la barre très haute en termes de qualité et de nombre d’illustrations dans les livres précédents, et il tenait donc à faire appel à quelqu’un d’autre pour partager cette charge de travail afin que le livre soit terminé dans un délai raisonnable.

Je crois que c’est Jim qui a suggéré à Bloomsbury de m’impliquer, parce qu’il pensait pouvoir me faire confiance et on savait aussi que l’on pouvait bien travailler ensemble. Il a également estimé que nos styles étaient suffisamment différents pour ne pas entrer en conflit l’un avec l’autre et que si je travaillais sur certaines des marginalia, cela lui libérerait du temps pour qu’il puisse se concentrer davantage sur les personnages et l’intrigue centrale.

Il s’est probablement écoulé neuf mois entre le moment où l’idée a été proposée et celui où les contrats ont été signés, et j’ai passé une grande partie de ce temps à développer des illustrations tests pour essayer d’établir comment une collaboration pourrait fonctionner. Nous savions qu’il faudrait un certain temps pour obtenir l’accord de toutes les parties (l’éditeur britannique, des nombreux coéditeurs internationnaux et, finalement, de J.K. Rowling), mais je pense que Jim a estimé qu’une collaboration était la seule option possible. Il était important pour nous tous que mon travail vienne compléter celui de Jim, et n’interfère en aucun cas avec lui, car son extraordinaire talent pour réaliser les personnages et le monde qu’ils habitent a caractérisé toute la collection.

Avez-vous ressenti une certaine appréhension à participer à ce livre, compte tenu de la/'(im)patience des fans qui ont dû attendre 3 ans après la sortie du 4ème volume ?

Oui, absolument, on s’inquiète toujours de la façon dont les gens vont réagir à son travail, mais encore plus pour ce livre, étant donné ce qu’il est et l’amour et le respect que les fans portent à l’histoire et à Jim.

Oui, trois ans, c’est long à attendre, mais je sais à quel point j’ai dû travailler dur sur ce livre. Jim a fait exactement la même chose pendant les deux ans qui ont précédé mon implication, et pendant les sept années qui ont précédé pour tous les livres précédents. Je ne me plains pas – j’aime ce que je fais et c’est un privilège de pouvoir faire ce que j’aime pour vivre et de travailler sur un projet comme celui-ci, mais illustrer un livre de cette taille pour une seule personne, et même en fin de compte pour deux, n’est pas facile et prend du temps. Pour donner une idée du temps nécessaire, la page du Ministère de la Magie, qui, pour être honnête, est la pièce la plus compliquée sur laquelle j’ai travaillé, a pris près de deux mois, soit près d’un sixième de mon budget temps pour une seule page.

Comment Jim Kay et vous, vous êtes-vous répartis les différentes illustrations qui composent ce livre ?

Il est intéressant de noter que ce n’est pas quelque chose que j’ai eu à décider pour la plupart, c’est presque entièrement la décision du concepteur en collaboration avec Bloomsbury, même si très occasionnellement l’un de nous a pu suggérer vouloir particulièrement faire une certaine image. Une grande partie du livre avait déjà été conçue lorsque j’ai pris part à sa conception et Jim en était au moins à la moitié des illustrations.

Le défi pour nous tous, avec ce livre, était sa taille : avec 576 pages pour un livre de cette dimension, il est à la limite de ce qui est raisonnable en termes de poids. Plus grand, ça n’aurait pas fonctionné… donc ajouter des pages supplémentaires n’était pas une option. C’est donc à juste titre que Jim s’est vu attribuer la plupart des pages disponibles pour porter l’histoire et illustrer les personnages anciens et nouveaux comme lui seul sait le faire. Une grande partie de mon rôle consistait à essayer de faire fonctionner les illustrations comme des bordures (la classe de divination de Firenze en est un bon exemple) afin de gagner de la place tout en apportant quelque chose d’intéressant visuellement à une page.

La salle de cours de Divination de Firenze

C’est pourquoi la réalisation d’un livre comme celui-ci est une véritable collaboration. Une équipe étonnamment restreinte chez Bloomsbury est en charge d’assembler le tout pour réaliser l’édition illustrée. Son rôle est tout aussi important que celui de Jim et de moi-même. Le fait qu’elle ait réussi à faire fonctionner cet énorme livre, à le rendre cohérent et à le rendre beau tient du petit miracle.

Lorsque vous travaillez sur un livre, quelles sont les premières étapes que vous prenez ?

Le lire, puis le relire et encore le relire.

Ce projet était différent des nombreux livres sur lesquels j’ai travaillé ces dernières années, où je pouvais avoir beaucoup de liberté pour choisir les illustrations et planifier moi-même une vue d’ensemble. Je suis arrivé sur L’Ordre du Phénix deux ans après le début du projet et la quasi-totalité du planning était déjà en place, ce qui m’a soulagé et j’étais très heureux qu’on me dise exactement ce qu’il fallait illustrer sans avoir à prendre ces décisions moi-même.

Avant de participer à cette collaboration, connaissiez-vous déjà la saga Harry Potter ? Quels sont les autres livres sur lesquels vous auriez aimé travailler ?

Oui, bien sûr, il était impossible d’ignorer ce phénomène de l’édition lorsqu’ils sont sortis et, plus tard, je les ai lus avec mon enfant avant qu’il ne soit en âge de les lire lui-même.

Tous les livres recèlent d’immenses richesses graphiques, mais compte tenu de mon rôle dans ce projet, je pense honnêtement que L’Ordre du Phénix est probablement le meilleur sur le plan graphique. J’ai pu illustrer le plan en coupe du Ministère de la Magie dans un style légèrement édouardien, un peu comme le plan d’un grand magasin à l’ancienne. J’ai également pu imaginer la tapisserie de l’arbre généalogique des Black dans un faux style médiéval. J’ai pu prêter un intérieur victorien à Ste Mangouste et faire un Pré-au-Lard élisabéthain fantastique. Ce sont toutes sortes de styles, d’époques et de détails sur lesquels j’aime travailler et qui sont tout à fait dans ma zone de confort.

Le plan en coupe du Ministère de la Magie
L'Hôpital Ste Mangouste
La tapisserie de l'Arbre Généalogique des Black
Les boutiques de Pré-au-Lard

Avez-vous eu besoin de lire ce cinquième tome dans son ensemble ? Les autres ? Si oui, dans quelle mesure sa/leur lecture a-t-elle influencé la façon dont vous avez abordé vos illustrations. Si non, comment avez-vous procédé ?

Oui, je l’ai lu et plus d’une fois. À l’époque, en fait, je souffrais de la Covid et j’étais confiné au lit, alors franchement j’étais content d’avoir quelque chose pour passer le temps… C’était aussi un moyen utile de travailler un peu pendant que je ne pouvais pas dessiner. Je n’avais aucune idée à l’époque de ce que l’on allait me demander de faire pour le livre (c’était avant que l’on me donne le feu vert pour y travailler). Cela faisait quelques années que je ne l’avais pas lu, j’avais donc vraiment besoin de me remettre à niveau, mais même si vous ne travaillez que sur des parties d’un livre, il est important de connaître l’histoire en détail pour avoir une idée du contexte.

Comment définiriez-vous votre style, votre approche pour ce livre ? Quelles techniques avez-vous utilisées ? Vos références et sources d’inspiration ?

Mon approche de l’illustration d’un livre consiste toujours à servir le texte. Les illustrations doivent souligner, refléter ou expliquer ce qui se passe au cours de l’histoire, ou parfois renforcer un sous-texte, ou encore orienter l’histoire vers quelque chose d’autre qui pourrait être pertinent. Le choix de ce qu’il faut montrer exactement peut être fait par l’illustrateur, mais c’est souvent une décision prise par le directeur artistique et l’éditeur.

Sur le plan stylistique, mon inspiration pour ce livre provenait de nombreuses sources. Le plus important étant que mon travail sied parfaitement avec celui de Jim, mais surtout qu’il ne lui ressemble pas. Jim et moi partageons beaucoup de centres d’intérêt et de sources de référence, nous sommes tous deux influencés par l’art médiéval et en particulier par les Herbiers et les Bestiaires (ces premiers livres sur le monde naturel et les créatures fantastiques), nous partageons une passion pour l’architecture et la typographie – toutes ces choses contribuent à créer une cohérence.

Emballage pour les Ballongommes de Bullard ou Bulles Baveuses

Comme je n’illustrais pas le récit principal de ce livre, je pouvais me permettre de changer légèrement de style en fonction de ce qui était représenté. Par exemple, je me suis beaucoup inspiré des tapisseries médiévales pour l’arbre généalogique des Black. J’ai puisé dans les sources de l’architecture édouardienne et du matériel publicitaire pour le Ministère. Il m’est arrivé de pousser mon style vers l’impression traditionnelle sur bois et, à une occasion, vers un emballage de chewing-gum dans le style des années 1970, mais toujours en m’inspirant du texte et de ce que Jim a fait.

Vous a-t-il été nécessaire de revenir en arrière, d’observer et de vous baser sur le travail de Kay dans ce livre mais surtout dans les livres précédents de la saga afin d’avoir une complémentarité dans l’ensemble et d’éviter en quelque sorte une dénaturation marquée ?

Comme je l’ai mentionné précédemment, il était très important de compléter le travail de Jim et de comprendre exactement ce qu’il prévoyait. Il est intéressant de noter que Jim change également de style dans ce livre afin de correspondre avec le style de l’écriture qui devient plus sombre au fur et à mesure que les thèmes se développent, les personnages grandissent dans le cinquième tome et les angoisses normales de l’adolescence ainsi que le sentiment accablant que quelque chose de monumental est en train de se produire s’accumulent vers la fin de ce livre.

L’art de Jim le reflète magnifiquement. Il y a une perte d’innocence et il est absolument essentiel que le style d’illustration reflète cela. Il s’agit de créer des ambiances, comme le changement de tonalité dans la musique pour créer de la tension ou le montage staccato dans le cinéma pour créer de l’excitation, le choix de ce qu’il faut illustrer et la manière de le restituer peut faire le travail d’une bonne bande-son.

De toutes les illustrations que vous avez réalisées pour ce livre, laquelle ou lesquelles préférez-vous ? Et pourquoi ?

Sans aucun doute celle du Ministère de la Magie. À l’origine, il n’était pas prévu qu’elle soit aussi détaillée qu’elle l’est devenue, et elle devait être verticale et répartie sur les deux pages. À un moment donné, nous avons décidé de l’orienter latéralement, car elle fonctionnait mieux en tant qu’image en double-pages. Il y a eu un retard dans l’obtention du cahier des charges pour la série d’images qui devaient suivre le Ministère de la Magie, et j’ai donc eu le luxe de disposer d’un peu de temps pour travailler dessus. L’équipe de production y a vu la possibilité de réaliser quelque chose de spécial et m’a donc envoyé de plus en plus d’informations sur le ministère et ses rouages. Au final, je pense que nous avons réussi à faire référence à presque toutes les mentions du ministère présentes dans l’ensemble de la saga.

Cette illustration a nécessité environ deux mois de travail et des journées assez longues, mais lorsqu’une œuvre se déroule bien, que vous êtes dans le bon état d’esprit et que vous y prenez plaisir, ce qui était mon cas avec cette illustration, le temps passe très vite. Cependant, si vous n’êtes pas dans un bon état d’esprit et que vous n’êtes pas heureux de ce que vous faites, cela peut s’avérer être une lutte terrible.

Ndlr : D’ailleurs, en discutant avec lui au sujet d’une illustration test très précoce d’une possible esthétique architecturale pour le Ministère (et où figure des statues au style très expressionniste), on apprend qu’au tout début de la conception de ce bâtiment bureaucratique, il s’était inspiré de l’esthétique du Constructivisme et que certains éléments ont été conservés. À noter aussi que ces statues ont finalement été intégrées dans l’illustration définitive, même si elles y sont difficilement discernables.

Projet abandonné de statues pour le Ministère
Elles ont été finalement intégrées... Saurez-vous les retrouver ?

Enfin, il est probablement très prématuré pour cette réponse, mais suite au “départ” de Jim Kay, pourriez-vous reprendre le flambeau ?

En un mot, non !

Tout d’abord, je ne suis pas un illustrateur de personnages et il y a très peu de personnes qui peuvent le faire aussi bien que Jim, bien qu’il apporte tellement plus à ces livres que les personnages. Il a une profonde compréhension du monde naturel, de la science et une connaissance de l’art médiéval, de l’architecture et de ses simples capacités d’artiste et de conteur visuel qui alimentent ces livres. Il sera très difficile de le suivre, car son style et son imagination font partie intégrante de ce que l’on aime le plus dans ces livres. Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas d’illustrateurs qui pourraient le faire, même s’il serait injuste d’en nommer, mais je n’en fais pas partie car mes points forts en tant qu’artiste se situent ailleurs.

Maintenant, j’ai une confiance totale dans l’équipe de Bloomsbury qui fera le meilleur choix pour l’avenir des éditions.

Nous tenions une fois encore à remercier Neil Packer de nous avoir accordé cet entretien !

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