Alors qu’elle était publiée hier chez Gallimard, nous avons eu il y a quelques semaines le privilège de pouvoir feuilleter en avant-première la version française de l’édition illustrée de la bible du sport sorcier par excellence, Le Quidditch à Travers les Âges.

L’occasion pour nous de vous en proposer notre ressenti émaillé par certains commentaires anecdotiques faits par l’illustratrice (ici, ici et ).

On savait que notre maison d’édition avait préféré la couverture bleu britannique à celle verte américaine (alors qu’elle avait fait un choix inverse pour les deux précédents livres de cours, en proposant même une version maison pour Les Contes de Beedle le Barde).
Pour autant, force est de constater qu’il existe des différences avec l’originale – notamment en ce qui concerne la partie inférieure et le titrage. À noter aussi les effets de dorure (dans ce titrage ainsi que sur le nom de JK Rowling et les petites étoiles) qui font ressortir l’ensemble sur le fond bleu.

Si le contenu n’est pas nouveau… du moins, pour le texte original (mais nous y reviendrons), le contenant lui l’est. Il est agréable de passer d’un livret format “Poche” (à la couverture souple) à un bel ouvrage grand format et relié (à la couverture cartonnée). Près de 20 ans après, l’expérience de lecture est ainsi complètement renouvelée. Même le fameux petit carton de la bibliothèque de Poudlard, avec les noms des emprunteurs du présent ouvrage, semble inédit*.

Et l’ampleur du travail d’illustrations de Miss Emily Gravett en est la raison principale. Surtout que pour elle, tout pouvait être imagé.

“On m’a donné un exemplaire du [Quidditch à Travers les Âges] originel, et à chaque page, je me disais simplement : « Oh mon dieu, je pourrais faire ça, cela et cela … » Je faisais des petits cercles autour de tout. Il s’est vraiment prêté aux ouvrages que l’on achète au musée après une exposition (ces beaux et brillants livres, pleins d’objets). C’était donc une très bonne opportunité pour moi d’essayer des tas de techniques différentes et de faire des bonds dans le temps.”

Un souci du détail... historique, mais aussi géographique

Pour mettre en image un livre qui retrace l’évolution d’un sport ayant vu le jour au XIème siècle, elle s’est ainsi évertuée à en représenter sciemment les sources historiques qui y sont évoquées (telles des tapisseries, des peintures à l’huile, des manuscrits, des journaux ou encore des comics des années 50).

“Chaque fois que je commençais une nouvelle chose, je la regardais et me disais : « C’est un manuscrit enluminé, quel genre de papier auraient-ils utilisé ?… Est-ce qu’ils utiliseraient de l’or ?… Est-ce que des trous seraient apparus ?… Aurait-il craquelé au sommet avec l’âge ? », « Je dois apprendre à faire du lettrage à la main ! »,« Quel genre d’écriture aurait existé à cette époque ? » J’ai donc essayé de trouver des méthodes pour que les choses se passent bien. C’était vraiment une grande phase d’apprentissage. […] J’essayais d’avoir la bonne impression des couleurs et des styles de chaque époque dans laquelle j’étais mais pas trop strictement, car c’est encore de la fiction!

À cette fidélité historique voulue, Emily Gravett y a ajouté une double difficulté : coller également à l’aspect géographique de ces sources. Et on sent qu’elle a effectué de sérieuses recherches. Par exemple, à l’évocation de la Course Annuelle de Balais (de Kopparberg à Arjeplog), elle a créé une affiche pour l’année 1956 sur laquelle elle a fait l’effort d’écrire en suédois (“Ett Arlight Kvastlopp”, course de balais annuelle). Autre exemple, lorsqu’il est question du Quidditch en Australie et Nouvelle-Zélande, elle y place une sculpture en bois taillée dans le style maori ou encore un herbier d’un botaniste européen où il est fait mention de fruits en maori (le kōhia / fruit de la passion et le kawakawa sorte de poivre néozélandais).

La conception d'objets réels

Par souci de réalisme, elle est même allée jusqu’à la fabrication d’objets d’objet. Elle a ainsi mesuré la taille d’un Souafle, façonné une assiette dans un style japonisant, bricolé un balai avec le bois de son jardin ou encore cousu une peluche de farfadet.

Alors qu’elle s’inquiétait que le chapitre sur les différentes balles de Quidditch ne soit “quelque peu rébarbatif”, elle s’est finalement rendu compte que c’était le contraire. Elle a alors eu l’idée de les représenter sur une double-page à feuillets dépliants : “Je me suis dit que ce serait une bonne chose de mettre la taille réelle des balles sous cette forme – alors je les ai mesurées sur Photoshop. Quand je les ai vues imprimées, je me suis dit : « Ce n’est pas possible, il doit y avoir une erreur ?! ». Mais j’ai fait beaucoup de recherches sur les tailles pour m’assurer que j’avais le Souaffle le plus précis !”

Avouant que c’était une première de faire ça, elle décrit comme de “médiocre qualité” l’assiette japonaise qu’elle a fait à la main et qui figure au chapitre 8 en référence à l’équipe des Tengu de Toyohashi. Même si elle a adoré la façonner, [elle n’est pas] un maître potier et c’est la raison pour laquelle [elle s’est] arrangée pour qu’elle soit étiquetée comme ‘rebus’.”

De tous les objets qu’elle a confectionné elle-même, la peluche de farfadet est son objet préféré. “Je l’ai toujours quelques part, pas loin”. Cette mascotte des Crécerelles de Kenmare, elle l’a cousu à la main avec du feutre.

Dans le premier chapitre, se trouve une photo d’un “balai médiéval exposé au musée du Quidditch de Londres”. Miss Gravett explique l’avoir bricolé avec du véritable bois : “j‘ai une maison au Pays de Galles et en regardant par la fenêtre, j’ai vu un frêne dans le jardin. J‘ai alors fabriqué ce balai avec. Puis je l’ai accroché dans l’abri à bois et je crains n’avoir effrayé quelques personnes au passage avec cette installation incongrue. C’était étonnamment facile à faire, mais évidemment il ne vole pas !

L'imitation est la forme la plus sincère de flatterie

La seconde des plus grosses pièces de ce livre (figurant sur des doubles-pages à feuillets dépliants) est une impression de tapisserie médiévale. Mettant en scène la chasse au Vivet Doré (cette oiseau qui plus tard fut remplacé par le Vif d’Or), il aura fallu près de deux semaines à l’illustratrice pour la concevoir. Si on la regarde de près, elle est emplie d’agitation, de créatures magiques et d’autres petits détails. Il y a même l’inscription latine suivante :

“Hic ad venationem proficiscvntvr – Hic avis interfecta est – Hic venator aurum accipit

que l’on peut traduire par

“Les chasseurs sortent de la cité – L’oiseau est tué – Le chasseur recueille l’or”

S’étant inspirée de la Tapisserie de Bayeux, elle reconnaît que c’était un incroyable challenge dans la mesure où il y a tant d’éléments à rendre corrects. Surtout qu’elle avoue “ne pas être une couturière, et donc avoir dû trouver sur Photoshop un moyen de reproduire l’apparence des points de couture. Elle a ensuite scanné un vieux morceau de lin en guise arrière-plan et [l’avoir] cousu sur ordinateur.”

Tapisserie "La chasse au Vivet Doré"
Tapiserie de Bayeux

Nous l’avions découvert parmi les premiers aperçus de cette édition. On en apprend un peu plus au sujet de l’illustration semblable à une tapisserie médiévale et qui représente la Coupe du Monde de Quidditch de 1473 (celle opposant la Transylvanie à la Flandre et au cours de laquelle l’intégralité des sept cent fautes recensées ont été commises). Appréciant vraiment le fait d’avoir pu imiter le style d’oeuvres qu’elle admire, elle explique qu’ici son peintre “fictif Bluehell le (très) Vieux s’est inspiré de Brueghel l’Ancien“. Il est vrai que l’on retrouve beaucoup de parallèles avec l’huile sur bois intitulée Le Triomphe de la Mort, peinte en 1562 par l’artiste flamand. Mais elle précise tout de même qu’elle “ne peint pas vraiment à l’huile, plutôt à l’aquarelle !” Elle a donc “tenté de trouver des méthodes pour que les choses y ressembles et soient bien faites“.

La Coupe du Monde de Quidditch de 1473, Bluehell le Vieux
Le Triomphe de la Mort - Brueghel l'Ancien

Autre exemple de source d’inspiration pour la Miss, Henri de Toulouse-Lautrec. Lorsqu’il est question de la comédie de Forbien Narré, Hélas, Je me suis transfiguré les pieds, l’occasion lui est offerte de créer une affiche (annonçant la pièce en 1815, 400 après sa création). Sur celle-ci, elle présente un homme au chapeau et manteau noir avec une écharpe. Cela n’est pas sans rappeler le Aristide Bruant du peintre français.

Affiche pour la pièce de F. Narré
Aristide Bruant - H. de Toulouse-Lautrec

L’artiste propose une illustration de la Lande de Bodmin en indiquant qu’il s’agit d’une “carte postale de [ladite lande]”. En réalité, cette image est inspirée d’une photographie des années 1900 de George W. F. Ellis. Cette photographie du Jubilee Rock fait actuellement partie de la Mac Waters Collection. Comme pour l’élaboration des portraits, mais près de 20 ans après, Emily Gravett est partie d’une œuvre bien réelle mais l’a modifié pour la rendre plus magique en modifiant la gravure de la pierre, en colorisant l’image et en rajoutant des créatures qui s’amusent avec le Vif d’Or.

Carte postale de la Lande de Bodmin - Emily Gravett
Photographie de Jubilee Rowk - George W.F. Ellis

Les écussons et les uniformes des joueurs de Quidditch

Parmi les aperçus dévoilés officiellement en amont de la sortie de ce livre, il y avait aussi les deux doubles pages avec les différents écussons et uniformes des équipes de Quidditch de Grande-Bretagne et d’Irlande. L’illustratrice est revenue sur leur conception.
  • Pour dessiner et rendre réels les écussons, à l’instar de la peluche farfadet, elle les a cousu de véritables modèles en laine cardée. “Chacune des équipes de Quidditch a un emblème, donc je les ai d’abord conçus par ordinateur comme des logos. Mais j’ai ensuite envisagé d’incorporer certains ‘produits dérivés’ liés à quelques équipes et de les concevoir pour de vrai – c’est comme ça que j’ai fini par coudre également les écussons.”
  • En ce qui concerne les uniformes des différentes équipes, Emily Gravett s’est servie de sa propre expérience en matière d’uniforme de sport moldu. “Je jouais au roller derby, donc dans ma tête, le roller derby et le Quidditch sont en quelque sorte devenus le même sport. Les patins à roulettes quads et les balais ne sont pas du tout les mêmes, mais tout deux réunnissent la vitesse et le contact physique (comme le fait ‘d’être frappé’), alors j’ai imaginé des équipements de sécurité, des genouillères et des protège-poignets, etc. Et les joueurs. Ce que j’ai aimé dans le roller derby, c’est qu’il y a une grande diversité de formes et de tailles de corps, et je voulais que cela se ressente dans les membres de l’équipe que je dessinais – pour m’assurer qu’ils n’étaient pas tous des athlètes sveltes. C’est un sport très ouvert. Après tout, vous êtes assis sur un balai !”

Une prise de liberté au bénéfice du sujet

Par ailleurs, comme nous l’évoquions plus haut, même si le contenu est exactement le même que l’original de 2003, Emily Gravett est parvenue à apporter un enrichissement indéniable par rapport à toutes les éditions du livre connues jusqu’alors.

En effet, si elle a reproduit chaque document évoqué dans le texte et qu’elle a représentées les sources historiques du sport (pourtant fictives) telles de véritables documents d’archives…. L’illustratrice s’est appropriée ce guide et s’est offert le luxe de quelques libertés. Ce sont ainsi pas moins de dizaines et des dizaines de sources et documents qu’elle a entièrement imaginées.

Le sujet du livre, un sport imaginaire, rend chaque phrase du livre tellement visuelle.  Quelle est la portée d’un tel sport ? Si le plus dur fut de ne pas trop extrapoler, jai tout de même écrit quelques articles et inventé des publicités. J’ai créé des choses supplémentaires avec mes mots, comme le texte de la bande-dessinée Le Vif d’Or. Mais je n’ai pas vraiment ajouter de nouveaux contenus originaux. Pour autant, c’est devenu un peu ‘mon livre’ avec le temps.”

Nuémro de 1953 du "Vif d'Or", mettant en scène le match entre lesHarpies de Holyhead et les Busards de Heidenberg
Pub avec Barny, mascotte de l’équipe des Ballycastle Bats et sponsorisant la Bièraubeurre

Par exemple aussi, on apprécie que ce qui n’étaient que de citations retranscrites simplement pour la section “Quelques opinions” à l’époque, deviennent propices à plus pour l’illustratrice. Elle a en effet mis des visages sur des noms bien connus de la saga. Si on découvre un Ludo Verpey bellâtre (loin de la version rodouillarde de Jim Kay) et une historienne Bathilda Tourdessac sur un balai (dans un petit côté Agatha Christie), on redécouvre la journaliste Rita Skeeter ou bien le faussaire Gilderoy Lockhart. On a même droit à un portrait de Dumbledore accompagné de son fidèle phénix Fumseck, dans l’introduction du directeur.De même avec la biographie de l’auteur fictif de ce guide, Kennilworthy Whisp. Là, aussi,  l’illustratrice l’a accompagné d’une photo. Faute d’une description, elle l’a complètement inventé. Son Kennilworthy est alors basé sur son propre père. Ayant une “très bonne photo de lui, avec un chapeau ridicule”, quelques retouches sur Photoshop (l’ajout de l’insigne de l’équipe des Vagabonds de Wigtown et l’allongement de la barbe) auront suffit.

Par ailleurs, d’autres photos du genre jalonnent l’ouvrage. À l’instar de celle dédicacée de Roderick Plumpton. Selon Miss Gravett, pour qui le Quidditch semble être “un sport très inclusif, où tous les types de sorciers et sorcières profitent du jeu”, le célèbre Attrapeur des Tornades de Tutshill prouve que les joueurs “n’ont pas nécessairement besoin d’être sportifs pour être des recordmen. On notera également la photo des fondateurs de la compagnie de balais Brossdur, les frères Ollerton où l’un des frères fait des oreilles de lapin aux deux autres.

Une édition illustrée empreinte d'humour

Connue comme illustratrice de livres pour enfants, dans son processus d’élaboration elle cherche toujours un élément qui la fait rire et fera rire le public. Dans le cas présent, elle s’est donc amusée à faire figurer les numéros de pages dans des Vifs d’Or. Mais ces derniers n’étant pas toujours là où on s’attend à ce qu’ils soient, transforment le lecteur en un véritable Attrapeur”. Comme par exemple des faucons (Faucons de Falmouth) ou bien des pies (Pies de Montrose) se disputant la balle dorée. Ou encore quand celle-ci est utilisée comme boulet de canon ou projectile de lance-pierre. Il y a même une sorte de mise en abîme quand un Vivet Doré maintien un Vif en son bec… mais on vous laisse le loisir de les déceler tous 😜.

Mais il ne s’agit pas du seul aspect humoristique. Et certaines des illustrations viennent même sublimer l’humour du livre. Elles jalonnent le livre et vont d’un petit détail anecdotique (comme par exemple le lacet ou la semelle d’une des chaussures des Canons de Chudley) à un élément plus explicite (telles les tentatives les plus farfelues pour voler allant de la baignoire à un lourd fauteuil ailé et les sorciers souffrant de leur postérieur avant l’invention du sortilège de Coussinage).

Conclusion

Véritable réussite, cette édition illustrée est pétrie d’un melting-pot de techniques, styles et matériaux différents. Un mélange éclectique détonnant, haut-en-couleurs et, parfois, incroyablement réaliste !
Bien plus qu’une simple édition illustrée, Emily Gravett a su faire ressortir l’âme de ce livre. Elle nous propose alors un véritable guide historique (assez semblable aux guides sur l’histoire de la Magie) d’un sport pourtant fictif.
L’ensemble entraîne le lecteur dans un voyage enchanteur à travers les âges mais aussi le monde. Un must-have qui ravira petits et grands avides d’en savoir davantage sur le monde de sorciers !

Merci Gallimard de nous avoir permis de découvrir ce livre.